Poème: il pleut sur l'Irak

Publié par Karim Lakjaâ

Il pleut sur l'Irak…

 

Il pleut sur l'Irak, une pluie noire et sombre.

A travers mon écran de télévision, presque comme si j'étais au cinéma, je la vois inonder et submerger peu à peu un pays que j'ai découvert, il y a quelques années au cours de deux séjours.

Un pays où je me suis fait des amis sincères et uniques.

Mon esprit est empli de leur image et de leur combat pour survivre à 12 ans  d'un embargo assassin et meurtrier pour 2 millions d'irakiens.

Ashour, toi qui vis près du pont des Martyrs, maintes fois détruit à coup de missiles. Bijoutier et antiquaire, tu as fait connaître à des milliers d'étrangers, les secrets de la Grande Bagdad, celle que l'on nommait  Madinat Es Salam : la ville de la Paix. Cette Bagdad d'alors était la dépositaire et la protectrice du savoir des philosophes grecs que l'Europe engluée dans son moyen âge, avait oublié.

Comme ton cœur, ton échoppe regorge de richesses. Un de tes plus fabuleux trésors est ce thé au citron de Bassora, que tu offres à tes visiteurs.

Abdhullah Omar, j'ai frémi d'horreur en apprenant que ton quartier (Abou Nawas Street) avait été frappé par l'éclair et le feu. Qu'es-tu devenu ? Ta galerie d'art a-t-elle été détruite par ceux qui prétendent défendre la civilisation ? Tes milliers de tableaux et de lithographies ont-ils été brûlés ?

Avec toi, Abdullah, et avec Mohamed Rasim, nous avions connu une folle nuit dans Bagdad, il y a un an de cela.  Tous trois, étions montés dans un taxi, une vieille Volga russe des années 60, qui fonctionnait encore par miracle et de manière inexpliquée. Son chauffeur, un très vieil homme édenté roulait à plus de 120 à l'heure dans les rues de Bagdad, à près de 2 heures du matin. Nous avions cru mourir dans ce véhicule fou. Nous en avions ri avant de nous dire au revoir si ce n'était pas adieu.

Je pense aussi à toi Shaddad. Toi, qui m'as accueilli dans ton atelier d'artiste, situé près d'El Saadoun Street en plein centre ville. Toi, avec qui j'ai bu jusqu'à plus soif de cette bière irakienne qui par 40° fracasse le cerveau. Je me remémore le moment où tu as ôté de certains de tes tableaux, des voiles pudiques qui masquaient des toiles érotiques pour ne pas dire pornographiques.

 

Poème: il pleut sur l'Irak

Je m'inquiète aussi pour toi, Kasim El Sabthi, toi qui dans le fond de ton jardin, m'as fait goûter au Mesgouf, ce méchoui de Carpe, fierté culinaire de l'Irak joyeux et vivant. Nous avions arrosé copieusement ce plat,  avec de  l’Arak, cet alcool millénaire de dattes à la saveur anisée.

Enfin, je pense à toute la famille El Hubeidi, qui un soir, un certain 5 mai 2002, m'a invité à un dîner gargantuesque. Vous m'aviez soutenu cette nuit là, moi qui avais la peur au ventre de voir la bête immonde gagner les élections présidentielles françaises. Votre ravissante maison se trouve à proximité de l'aéroport, un endroit où la pluie est des plus meurtrière.

 

 

Poème: il pleut sur l'Irak

A chacune des gouttes de cette pluie faite de bombes, défilent dans ma tête vos visages. J'entends vos voix, vos rires, nos conversations matinées d'anglais, d'arabe et de français.

Et dans l'instant qui suit l'effroi m'envahit. Etes vous vivants ? Etes vous sains et saufs ? Avez vous encore un toit ? Si oui, qu'en sera-t-il quand les cow-boys entreront dans Bagdad et massacreront jusqu’au dernier les Indiens et sauvages que vous êtes à leurs yeux ?

 A mon tour la pluie me gagne. Mes yeux sont rouges et gonflés de larmes…

 

Publié dans Irak

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